Télépopmusik (ANTIPOP DJ SET)

Télépopmusik - Breathe

Faux scientifiques mais musiciens très savants, les Français de Télépopmusik trafiquent les gènes de la musique électronique sur un premier album éclaté.

On sait quel rapport ambigu lie démocratie et groupe de rock. La génération techno semble, elle, avoir voulu viser la simplicité, avec la prédominance de solitaires du home-studio et la suppression des faire-valoir encombrants. Dans une économie marquée par l'individualité, les trois compères de Télépopmusik dénotent forcément un peu. Chez eux, pas de leader ni d'autoritarisme mais une prise de parole démultipliée, un discours coloré fourmillant de diversité. Le premier album des Français, ce Genetic World au spectre musical impressionnant, prouve que cette volonté d'œuvrer collectivement a payé. "Notre première idée était complètement ludique : nous étions des amis qui voulaient s'amuser, meubler des temps morts, explique Fabrice, ancien membre d'Autour De Lucie. Nous avons donc essayé de trouver des points de convergence. Alors que nous n'étions animés par aucune motivation vraiment commune. Il nous est même arrivé de travailler pendant des mois sur des morceaux que, finalement, tout le monde détestait."

La performance de Télépopmusik tient au haut degré d'exigence que le groupe s'est fixé. Fuyant le plus petit et médiocre dénominateur commun, il s'est engagé à satisfaire des désirs disparates : les envies de l'arrangeur Fabrice, la maniaquerie sonore de Stéphane et l'oreille de Christophe alias Antipop, le DJ de la bande.

Commencée comme une farce ­ notamment la pochade big-beat Da Hoola ­ au moment où toute une scène française découvrait les joies du sampler, l'aventure s'est poursuivie avec plus de sérieux dans l'ombre de leur studio. "On vient de l'univers pop-rock, explique Stéphane. Pendant longtemps, on a été emprisonnés dans des chapelles qui ne nous reflétaient pas entièrement, des cadres trop limités. Avec le sampler, tout a volé en éclats, il nous a permis de nous libérer de toutes nos influences et nous a offert tellement de possibilités... Comme si l'on avait vécu en prison pendant quinze ans : à la libération, certains vont au tabac du coin, d'autres comme nous vont faire le tour du monde."

Genetic World ressemble ainsi à un très beau voyage imaginaire, réalisé et rêvé par des boulimiques de mélodies, des affamés de sensations parfois contradictoires. Bien que ce périple en montagne russe débute par la house très douce de Breathe, on aura souvent le souffle coupé devant les audaces permises ici. De manière inconsciente mais réelle, les Français ont dressé à la main ­ les machines restent à leur service ­ et au jugé une séduisante et probante topographie des interpénétrations musicales, des mariages stylistiques.

Certes, le groove de la techno, le débit du rap ­ avec les rimeurs anglais Juice Aleem et Mau (Earthling) ­ ou la latitude de l'electronica impriment souvent leur empreinte sur la carte de navigation. Mais le trio ne s'abandonne jamais complètement à un genre trop balisé, déjoue les codes et les cotes. "On ne voulait pas être en sécurité pour éviter la routine", précise Fabrice.

Les Télépopmusik se sont ainsi transformés en chercheurs décomplexés, inventant in vitro des créatures aux chromosomes trafiqués, à l'ADN de contrebande. Leur volonté d'être transgenres a trouvé son aboutissement dans un disque éminemment transgénique. "On ne le considère pas du tout comme un concept-album et on ne propose aucune position éthique. Mais le thème de la génétique s'est développé au fur et à mesure pour s'imposer comme une évidence. La génétique est une science qui part d'une base naturelle ­ contrairement à l'électronique ­ pour ensuite la modifier. Nous avons adopté la même démarche en composant et enregistrant avec nos instruments acoustiques tout en essayant qu'ils sonnent, après, de manière synthétique."

La mutation est ici le mot clé : les BO hollywoodiennes, la magnifique voix d'Angela McCluskey, les furieux Peaches et Gonzales sont ici absorbés et altérés. Loin d'être des savants mous, les Télépopmusik osent de jouissives greffes. Difficile donc de les croire quand ils affirment "Avant on bœufait dans une salle de répèt'. Maintenant, on est devant un ordinateur avec chacun un casque sur les oreilles comme des rats de laboratoire. Finalement, la musique électronique n'est pas si glamour que ça."