[… me connoissant trop bien pour pretendre me distinguer par la force de ma composition j’ai tasché de me conformer au goust des habiles gens, en donnant à mes pieces, autant que ma foiblesse me la pû permettre le tour de celles de l’Inimitable Monsieur de Lulli : ie juis persuadé, que ce n’est qu’en le suivant de bien loing, que mes pieces ont eû le bonheur d’estre escoutées favorablement de sa Majesté et de toutte sa cour. ]

C’est avec ces mots que Robert De Visée, sans doute le plus talentueux et prolifique luthiste - guitariste - théorbiste sous Louis XIV, commence la préface de son Livre de Guittarre, publié à Paris en 1682 et dédié au roi lui-même. Si l’influence de Jean-Baptiste Lully sur la production musicale de tous les compositeurs de la seconde moitié du 17e siècle est immense, l’allégeance au Surintendant de Musique était avant tout une véritable nécessité, tant le pouvoir du favori du roi était sans partage et son influence à la cour déterminante. Nous savons très peu de chose sur De Visée, mais la modestie semble avoir été l’un des principaux traits de sa personnalité.

Voici un autre passage de sa préface : [… Elles (ses pièces) seront seulement marquées par suitte, on ni trouvera point non plus de folies d’Espagne. Il en court tant de couplets dont tous les concerts retentissent, que ie ne pourois que rebattre les folies des autres. ]. On peut toutefois remarquer dans cette phrase, teintée d’un zeste d’ironie, l’affirmation d’une oeuvre originale et une volonté de se démarquer des autres musiciens de son temps, sauf de Lully bien entendu.

Il existe trois recueils publiés des oeuvres de De Visée : deux livres de guitare, édités à Paris en 1682 et 1686, puis un volume plus tardif intitulé Pièces de théorbe et de luth mises en partition, dessus et basse édité en 1716, à Paris également. Si les livres de guitare incluent des pièces en tablature et en partition pour dessus et basse, le recueil de 1716 pour théorbe et luth est donné uniquement en partition, ce qui révèle l’évolution d’un goût musical qui s’oriente vers un langage favorisant l’écriture pour dessus accompagnée par une basse continue. Le style brisé, subtil jeu d’arpègements, de retards et de dissonances, si apprécié par les luthistes au 17e siècle, tombe en désuétude. En ce sens, Robert De Visée est un musicien résolument moderne qui n’hésite pas à abandonner l’écriture en tablature, plusieurs fois centenaire et emblématique de la musique pour cordes pincées.

Cependant, les Pièces de théorbe ont été auparavant mises en tablature par des disciples de De Visée qui se donnèrent la peine de recopier des centaines de morceaux. Ces pièces nous sont parvenues, pour la plupart, dans deux manuscrits : celui de la Bibliothèque de Besançon, dit Vaudry de Saizenay (1699) et le manuscrit Rés. 1106 de la Bibliothèque Nationale de Paris, où l’on trouve des dizaines de transcriptions pour théorbe de pièces orchestrales et vocales de J.B.Lully, ainsi que quelques oeuvres originales pour clavecin, notamment de François Couperin. Ce corpus, unique dans le répertoire pour théorbe, met en avant la capacité de l’instrument à réaliser des réductions et des adaptations d’oeuvres qui, à l’origine, ne lui sont pas destinées. Il semblerait que cette pratique fut courante tout au long du 17e siècle, puisque l’éditeur Ballard publia de nombreux recueils d’airs où le luth réalise un accompagnement écrit en tablature qui est en réalité une réduction de la polyphonie des voix de haute-contre, taille et basse. Cette habitude permettait aux amateurs de musique de jouer et entendre dans leurs salons les airs et danses à la mode à une époque où l’enregistrement sonore n’existait pas encore… On peut imaginer aisément une scène dans laquelle De Visée jouait ses pièces de théorbe “par coeur”, en improvisant et en ajoutant par ci-par-là les petites différences qui fascinaient ses élèves qui s’empressaient de les mettre sur papier pour ne pas les oublier.

La filiation revendiquée par Robert De Visée à l’égard de Lully va donc au-delà de son style de composition : il aura laissé de magnifiques transcriptions. Les arrangements présents dans les deux recueils manuscrits cités plus haut ne sont probablement qu’une infime partie.


ARTISTES

Manuel de Grange (Théorbe)


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Salon de thé ouvert à 16h30.

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